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Franck Damour
Philosophe, essayiste |
Par bien des aspects, nos sociétés cultivent un rapport ambivalent aux technologies. D’une part, nous attendons beaucoup d’elles par leur capacité à nous émanciper de nos limites, à soulager notre fatigue, à pallier nos incapacités et faiblesses. Cela transparaît dans les discours mais surtout dans nos pratiques au quotidien ! L’humain s’est construit un environnement hautement technologisé, avec un accroissement rapide à la fois du nombre d’objets et des réseaux qui le relient, tant en amont, pour les fabriquer, qu’en aval, pour les faire fonctionner. Cet accroissement peut aussi être vécu comme une emprise exercée par les technologies, emprise bien souvent dénoncée pour certaines technologies comme le numérique, l’informatique ou l’automobile. Cette dénonciation peut prendre la forme d’une peur à l’égard des technologies qui transforment le vivant, humain, animal ou végétal. Cette ambivalence est le reflet de la nature exosomatique des technologies : elles sont des prolongements et des externalisations de notre corps. Nous avons en face des technologies un rapport d’intimité et en même temps d’étrangeté. Sorties de notre corps et de notre esprit, elles nous entourent et semblent à la fois familières et étrangères. Enfants de Prométhée et de Dédale, frères du Golem et de Frankenstein, quelles sont nos ressources pour penser les relations paradoxales que nous entretenons avec les techniques ?